LA LOI POUR UNE RÉPUBLIQUE NUMÉRIQUE ET L’OUVERTURE DES DONNÉES JURIDIQUES

PAR JUSTINE MICOULAUT

Formulée depuis longtemps, la volonté de rendre l’Administration « plus simple d’accès, plus rapide dans ses réponses, plus lisible dans son fonctionnement et surtout plus respectueuse des droits de ses interlocuteurs » a motivé certaines dispositions de la loi pour une République numérique adoptée le 7 octobre 2016. Présenté en Conseil des ministres le 9 décembre 2015, le projet de loi poursuivait trois objectifs : l’amélioration de la circulation des données et du savoir, la protection des citoyens dans la société numérique, l’accès de tous au numérique.
Alors que seuls les arrêts du Conseil d’Etat, de la Cour de Cassation et des cours d’appel étaient, jusqu’à présent, disponibles gratuitement sur Légifrance, l’une des mesures adoptées par la loi pour une République numérique est la mise à disposition du public de l’ensemble des décisions rendues par les juridictions françaises – civile, pénale et administrative.


Ainsi, l’article 21 de la loi pour une République numérique permet-il l’insertion dans le Code de l’organisation judiciaire de la disposition suivante :

« Sans préjudice des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées.

Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes.

Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions.

Un décret en Conseil d’Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d’appel ou de cassation, les conditions d’application du présent article.
NOTA :
Conformément à l’article 22 II de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, le troisième alinéa de l’article L. 119-1-1 entre en vigueur le 1er janvier 2018 en tant qu’il concerne les collectivités territoriales et leurs groupements. »

La transparence comme clef de voûte de la République Numérique


Cette ouverture des données juridiques vient s’inscrire dans un mouvement de transparence de l’Administration visant à améliorer les relations entre l’Etat et les individus, ce qui remet en cause la position de domination dans laquelle se place l’Administration, selon une tradition française, faisant de la participation des administrés une exception. A titre d’exemple, en 1997, le gouvernement Jospin annonçait sa volonté de « rapprocher l’Etat des citoyens » avec le dépôt d’un projet de loi en vue d’améliorer les « droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ». Après la mise en application toute récente du Code des relations du public avec l’Administration, la nouvelle disposition visant à obtenir l’ouverture au public de toute la jurisprudence n’est qu’un nouveau moyen de mettre en œuvre cet objectif de transparence.

Cette disposition ne permet pas seulement d’inclure davantage encore l’administré mais également de favoriser la publicité des débats. En effet, tout en respectant « la vie privée des personnes concernées », les décisions de justice sont publiques et doivent pouvoir être accessibles à tous gratuitement. Cet accès au droit, déjà grandement simplifié par la création de Légifrance, et s’étendant à présent à l’ensemble des décisions de justice a également pour objectif d’améliorer la connaissance du système judiciaire et la manière de juger des juridictions.
 

Publicité et droit au respect de la vie privée


La publication généralisée des décisions de justice devra se faire « dans le respect de la vie privée des personnes concernées » et sera précédée « d’une analyse du risque de ré-identification des personnes ». La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés avait recommandé en 2001 la mise en place de l’anonymisation des décisions de justice publiées sur Internet. La loi pour une République franchit un pas supplémentaire en parlant de « ré-identification » : d’une part elle insère l’anonymisation dans un cadre légal et d’autre part elle précise que la suppression simple d’un nom ne fait pas nécessairement disparaître la possibilité de ré-identifier la personne concernée. Vigilance doit donc être portée sur cette possibilité d’identifier indirectement une personne anonymisée.
 

Un objectif d’accessibilité et d’intelligibilité du droit en demi-teinte


Pour autant, la publication des décisions non définitives ne va pas troubler la conception française de la jurisprudence. La jurisprudence constitue davantage une ressource pour appréhender le droit qu’une véritable source permettant aux justiciables de connaître le droit qui leur sera applicable. Néanmoins, la jurisprudence revêt une certaine importance dans la mesure où les interprétations des règles de droit peuvent faire l’objet, par exemple, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ces interprétations sont toutefois plutôt issues des décisions des cours suprêmes que sont le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation.

En conclusion, bien que ce mouvement d’ouverture du droit et de l’Administration soit largement souhaitable en vue de faire du citoyen un véritable acteur dans le fonctionnement de l’Administration, l’accessibilité au droit n’en garantit pas l’intelligibilité et il paraît encore compliqué pour un justiciable d’y avoir pleinement accès, malgré de nombreux efforts fournis afin de rendre les décisions plus intelligibles.