LE NUMÉRIQUE, UN ENJEU AU CŒUR DE LA DIPLOMATIE D’INFLUENCE

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Le 3 mai 2016, le ministère des Affaires étrangères a organisé une conférence pour discuter de la manière dont Internet et les réseaux sociaux bouleversent l’organisation diplomatique traditionnelle.

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Romain Nadal, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du Développement international, a ouvert la conférence par un bref mot d’introduction. Selon lui le numérique révolutionne la diplomatie. Il induit une modernisation des méthodes de travail et une plus grande efficacité des services. Cela passe par une amélioration de la communication en interne mais aussi vis-à-vis de l’extérieur, véritable changement de paradigme pour une administration habituée à travailler dans le secret des cabinets. La diplomatie s’appuie traditionnellement sur un réseau matériel (ambassades, consulats, …). Avec le numérique, elle doit déployer un réseau immatériel pour permettre d’agglomérer une « communauté numérique diplomatique ». Par exemple, la COP 21 illustre cette diplomatie nouvelle ouverte réunissant l’ensemble des composantes de la société. Il était possible de suivre l’ensemble des négociations en temps réel et les citoyens pouvaient y participer. La semaine des ambassadeurs en aout 2016 sera une autre occasion d’améliorer les échanges avec cette communauté numérique. L’enjeu étant d’associer les citoyens à la conduite de la politique publique diplomatique.

Puis Anton’Maria Batettesti, responsable des Affaires publiques de Facebook, est intervenu. C’est un ancien rédacteur sur la gouvernance d’Internet du ministère des Affaires étrangères. Il se souvient de l’ouverture d’esprit du ministère qui était déjà à la pointe de la réflexion sur les questions de fracture numérique, de gouvernance d’Internet et de diversité culturelle. Aujourd’hui, Facebook est fort d’une communauté d’1.600.000.000 inscrits. La société californienne ambitionne de devenir l’un des socles de la démocratie du 21ème siècle.

Jonathan Mc Clory, associé de l’agence de conseil britannique Portland, a ensuite présenté l’étude The Soft Power 30, a Global ranking of Soft power. Elle cherche à retranscrire la façon dont la diplomatie numérique témoigne d’une évolution du monde par le numérique. La définition du pouvoir retenue est la capacité d’un Etat à changer la position d’un autre Etat. On distingue le hard power (la capacité à contraindre) du soft power (la capacité à convaincre). Au 21ème siècle, le soft power passe également par les réseaux (matériels : ONG,… et immatériels : réseaux sociaux). La difficulté pour les Etats est alors d’assurer la clarté de la diffusion de ses messages. Dans ces circonstances, le soft power est la capacité à mobiliser l’ensemble de ses réseaux pour transmettre efficacement ses messages. L’étude publiée porte principalement sur le potentiel numérique des Etats, leur capacité à déployer un réseau. Une des composantes du potentiel numérique des Etats est leur communauté Facebook. L’étude s’intéresse à leur capacité à dialoguer et à mobiliser cette communauté. Aujourd’hui les réseaux sociaux sont indispensables à la réalisation des missions des ambassadeurs. Ils représentent le seul moyen d’échanger avec l’ensemble des parties prenantes. Dès lors, le dernier obstacle physique demeure la capacité à échanger dans différente langue.

Laure Belot (journaliste au Monde et auteure de La déconnexion des élites) est la première intervenante de la table ronde. Elle affirme qu’Internet renverse la hiérarchie des pouvoirs. Avec Internet, la capacité à agir ne dépend plus de la position sociale. Il est possible pour tous de réunir des communautés afin de mener des actions ciblées. Selon elle, cela représente une nouvelle façon de faire du politique en dehors du cadre institutionnel. A l’heure actuelle, les institutions s’intéressent beaucoup à Internet à des fins de communications. Il faut dépasser cette approche qui conçoit Internet comme un nouveau moyen de communication. La révolution numérique est porteuse de valeurs propres autour desquelles s’agglomèrent des communautés qui n’ont pas besoin des institutions traditionnelles pour exister. L’enjeu pour ces institutions est donc de percevoir ces signaux faibles, précurseurs d’un changement de société, pour les intégrer et accompagner leur développement. Ces communautés font preuve d’une grande inventivité. Par exemple, l’application Ushahidi permet de visualiser les zones à risques par la réalisation de cartes interactives collectives.

Katie Harbath, directrice du département Global Politics and Government de Facebook a présenté le rôle que veut se donner Facebook dans cette évolution. Facebook veut être le lieu privilégié de l’échange politique au 21ème siècle. Facebook est ouvert à tous les sujets et à tout le monde (citoyens et gouvernants). Facebook serait une nouvelle manière de faire de la politique (elle cite l’utilisation qui en est faite par Justin Trudeau). La communauté Facebook permet au politique d’atteindre plus de citoyens et d’échanger avec ces citoyens. Cela ouvre de nouvelles perspectives (questions en direct, …). De plus, cela favoriserait l’émergence d’une communauté globale qui transcende les langues et les distances. Pourtant, on peut se demander quelles sont les garanties démocratiques que Facebook peut apporter (égalité du traitement de l’information, visibilité en période électorale,…). Facebook reste une entreprise. Selon Katie Harbath, c’est au particulier qu’il appartient de choisir le montant qu’il souhaite investir dans sa réputation numérique.

Laurence Auer, ambassadrice de France en Macédoine, a évoqué l’approche de son ambassade des réseaux sociaux. Ils permettent notamment une surveillance facile des informations (la première mission de l’ambassadeur est d’être capable de décrire l’état du pays dans lequel il se trouve). Cette veille numérique permet d’anticiper les mouvements de la société civile plus efficacement. Cela implique un changement des méthodes de travail. Facebook n’est qu’un outil de communication parmi d’autres utilisés par l’ambassade. Pour guider les ambassades dans cette évolution le ministère a publié une charte des réseaux sociaux. De plus, les réseaux sociaux favorisent une transmission de messages simples et clairs (par exemple twitter). Ce langage propre aux réseaux sociaux réduit la difficulté de la maitrise de la langue. Aujourd’hui sur Facebook le principal problème est de poster des vidéos ou du contenu en ligne (notamment des produits culturels). L’ambassade favorise donc twitter, qui possède également une communauté plus engagée politiquement. Sur les réseaux sociaux l’ambassade cherche à favoriser les échanges.

Agnès Alfandari, directrice du département numérique à l’Institut Français, aborde brièvement le rôle du numérique dans le rayonnement culturel. Selon elle, le numérique induit également un changement de société en ce qu’il bouleverse la transmission des savoirs. Les nouvelles technologies sont liées à la mission de l’Institut français en ce qu’elles permettent à de nouveaux artistes/producteurs de s’exprimer. Elles apportent également de nouvelles façons d’apprendre et de transmettre. Par exemple, la réalité virtuelle en ce qu’elle créée un univers immersif permet-elle d’améliorer l’efficacité de l’apprentissage ?

Enfin, Tristan Mendès France, chargé de cours au CELSA sur les nouveaux usages numériques, est revenu sur les nouvelles possibilités qu’apportent les réseaux sociaux aux citoyens. Ce sont des outils uniques qui permettent de relier les dirigeants politiques et les citoyens du monde entier. Cette révolution communicationnelle ne se fait pas sans mal. Aujourd’hui, il y a une polyphonie des Etats qui peut complexifier l’identification de la position d’un Etat sur un sujet précis. Cela bouleverse les négociations au plan international. De plus, on voit émerger la communication d’influence (la propagande 2.0). On peut notamment citer la Russie, très active à travers Russia Today. Chacun à accès à la voie des Etats « sans filtre » et peut ainsi être influencé dans ses positions. Dans ces débats, les réseaux sociaux ne peuvent pas rester neutres. La géolocalisation des contenus implique la réalisation de cartes et donc la délimitation de frontières. Par exemple, comment situer la Crimée sur Facebook ? Comment situer le Donbass ? Tout conflit territorial induit donc le positionnement des réseaux sociaux géolocalisant du contenu. Les réseaux sociaux influencent et sont influencés par l’état du monde. C’est pourquoi la censure des réseaux sociaux est une question si importante. Cela se traduit par la possibilité de couper ou de capter les réseaux sociaux (comme avec VKontakte en Russie ou Weibo en Chine). Les réseaux sociaux sont donc aussi le lieu de hard power (ils sont devenus des enjeux géopolitiques pour les Etats).