APIE pour l’Agence pour le patrimoine immatériel de l’État… Acronyme un peu curieux pour une administration que nous avons voulu mettre en lumière.

L'APIE

Comment est née l’idée de l’APIE ?

L’Agence pour le patrimoine immatériel de l’État a été opérationnelle en septembre 2007. Elle émane d’une proposition du rapport Lévy‐Jouyet de 2006 qui met en lumière un gisement potentiel de valorisation d’une partie du patrimoine de l’État. Du fait de sa particularité, de son immatérialité, ce gisement de valeur ne pouvait être exploité à droit constant. Il exigeait une structure spécifique. Le directeur général, M. Claude Rubinowicz, Inspecteur général des Finances, était membre de la commission qui a publié ce rapport.

De quoi est constitué essentiellement, ce capital, ce patrimoine ? On pense aux données publiques, mais ce n’est pas tout…

Non, ce n’est pas tout. Ce patrimoine regroupe aussi les brevets, les licences, les fréquences hertziennes, les marques, les noms de domaines, les savoir‐faire publics, les droits d’accès et les images publiques… Le plus souvent, c’est l’usage qui détermine la valeur de ce patrimoine. Par exemple, l’arrivée de la téléphonie mobile de masse a complètement revu à la hausse l’estimation des fréquences hertziennes appartenant à l’État. Auparavant, il n’y avait que l’Armée ou le ministère de l’Intérieur qui en avaient l’usage. Peu d’opérateurs privés s’y intéressaient et il n’y avait pas de tensions qui résultent, comme à présent, de l’usage de nouvelles technologies de l’information et de la communication.

La gestion du patrimoine historique de l’État entre aussi dans les compétences de l’APIE…

Oui, tout à fait. Immatériel ne signifie pas uniquement dématérialisé ou numérique. Des éléments tels que les savoir‐faire, la notoriété et le prestige sont aussi des valeurs immatérielles. Le patrimoine historique de l’État qui bénéficie d’une aura indiscutable et reconnue entre dans ce cadre. Je pense, par exemple, aux salons du Quai‐d’Orsay que le ministère des Affaires Étrangères peut louer pour une réception privée ou un événement particulier comme un tournage… Le rôle de l’APIE consiste à indiquer aux ministères que ce prestige peut être source de revenus extra‐budgétaires. Nous les aidons notamment à déterminer les meilleures conditions pour le faire et leur fournissons des outils, une grille d’appréciation des prestations qu’ils peuvent proposer à l’entreprise qui sollicite tel lieu pour tel événement.

Quels sont les écueils que connaissent les administrations pour la gestion de ce patrimoine ?

Les ministères commencent tout juste à prendre conscience de la valeur commercialisable des données ou des biens publics au sens général du terme. L’ État doit aussi se convaincre culturellement qu’il peut parfaitement valoriser son patrimoine en préservant la notion de service public qui reste dans tous les cas prioritaire. Pour reprendre l’exemple des salons du Quai, si le ministre doit à la dernière minute annuler une soirée pour recevoir un chef d’État, il peut toujours le faire grâce à une clause soigneusement rédigée, prévue dans les contrats.

Lors d’une table ronde organisée sur les données publiques en septembre 2010 à l’ADIJ (Association pour le développement de l’informatique juridique, NDLR), vous avez déclaré qu’en 2008, personne dans l’Administration n’avait entendu parler de réutilisation des données publiques… que les ministères devaient faire leur « révolution copernicienne »…

Le droit à réutilisation des informations publiques est une caractéristique du droit français. Il va au‐delà de ce qu’exigeait la simple transposition de la directive de l’Union européenne qui l’a inspiré. En même temps, ce droit a été inscrit dans le droit positif par une ordonnance, c’est‐à‐dire par un acte du gouvernement ratifié par le Parlement et non d’une loi débattue dans les hémicycles, avec une couverture médiatique qui aurait fait comprendre aux administrations la portée de cette novation. L’APIE a donc braqué un projecteur sur un élément fondamental que seuls quelques spécialistes avaient noté. Quant à la condition de paiement d’une redevance pour pouvoir procéder à une réutilisation, l’APIE s’efforce de convaincre l’administration que cette notion de valeur marchande n’est ni tabou ni contraire à la notion d’intérêt public… Mais il faut bien comprendre que cette contrepartie financière n’est exigible qu’auprès d’institutions ou d’entreprises privées et non bien sûr auprès du public qui a toujours accès gratuitement aux données publiques, comme par exemple les décisions des tribunaux. Nous voulons que l’administration reçoive une contrepartie des informations, des données publiques qui permettent au privé d’engendrer un bénéfice particulier de l’usage de ces données. C’est aussi naturellement une façon d’augmenter les recettes de l’Etat sans passer par l’impôt, c’est‐à‐dire sans imputer à l’ensemble des contribuables ce qui incombe à des bénéficiaires particuliers.

À qui vont les bénéfices de ces prestations ?

Aux ministères eux‐mêmes ! Le Décret n° 2009‐157 du 10 février 2009 l’établit clairement : « les produits résultant de la rémunération des prestations énumérées à l’article 2 du même décret sont attribués au budget de chaque ministère concerné ». Ceci crée une exception au principe d’universalité budgétaire, élément fondamental de la doctrine des finances publiques qui redistribuent les recettes mises en un pot commun. Mais le bénéfice n’est pas simplement dans le fait de récolter de l’argent. Nous avons aussi réussi comptabiliser ces actifs au bilan des administrations comme le spectre hertzien et le droit d’émission de gaz à effet de serre attribué à la France dans le cadre du protocole de Kyoto… Le montant de ces actifs immatériels est passé ainsi de 0,5 milliard d’euros en 2007 à 13 milliards en 2008. Surtout, nous montrons que l’État n’est pas seulement une machinerie qui crée des charges. Nous montrons qu’il y a une contrepartie à ces charges : les richesses produites par la puissance publique.

Est‐ce que l’APIE a un pouvoir de décision ?

Non aucun. L’APIE n’a aucun pouvoir coercitif. Les ministères et administrations restent souverains sur leurs prestations qu’ils souhaitent fournir ou pas. Et sur le prix facturé. D’ailleurs, il est arrivé de freiner les ambitions tarifaires d’administrations qui surévaluaient la grille d’appréciation que nous avions déterminée. Nous sommes intervenus et les choses sont rentrées dans l’ordre. Nous dialoguons avec les ministères dans un souci de cohérence et d’assistance. Cohérence entre toutes les administrations et assistance à celles qui ne savent pas comment faire pour répondre à des sollicitations.

Est‐ce qu’il est incompatible de parler de service public et de valorisation de ce patrimoine ?

Bien sûr que non. Le service public a tout intérêt à s’ouvrir, à se montrer tel qu’il est en évitant les clichés et sa caricature. L’ État se modernise profondément, crée de la richesse, il a tout intérêt à le faire savoir. Se rapprocher des opérateurs économiques ne peut que le rendre plus attentif à leur environnement, à leurs logiques entrepreneuriales. L’APIE dispose d’un pôle marketing et de juristes spécialisés en droit de la propriété intellectuelle pour parler plus spontanément le même langage que ses interlocuteurs… Au départ l’APIE a suscité beaucoup de scepticisme, maintenant elle provoque de la curiosité aussi de la part de pays étrangers. Cela nous semble encourageant et de bon aloi finalement.” ((Illustration : Site web de l’APIE))

Nadia Ali Belhadj